mardi 19 février 2013

J'aurai ta peau, Dominique A




Double actualité pour Dominique A: une Victoire de la Musique, catégorie artiste masculin de l'année et un album de bande dessinée: J'aurai ta peau, Dominique A, signé par Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez aux éditions Glénat.
Précisons tout de suite que cet album n'est ni une biographie, ni un recueil de chansons illustrées. Il s'agit bel et bien d'une fiction, ayant pour personnage principal le chanteur Dominique A. Il ne s'agit pas pour autant d'un objet égotrippé à la gloire de l'artiste, ni d'un récit réservé aux seuls initiés mais plutôt d'une mise en abîme assez réjouissante. Le chanteur n'a d'ailleurs pas du tout participé au scénario. Lorsque les auteurs l'ont contacté, il a répondu que puisqu'il s'agissait d'une fiction, il n'avait pas à ramener sa fraise. Il se limite donc à se prêter au jeu.
L'album s'ouvre sur Dominique A chantant Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, au texte cynique à souhait. Au sortir de scène, il découvre une lettre de menace,  limpide:
Pourquoi lui ? Il est sans doute la dernière personne qu'on imagine menacée de mort. C'est plutôt le privilège des stars. Pas celui de chanteur confidentiel qui mènent depuis plus de 20 ans une carrière en marge.


- C'est bizarre qu'on s'acharne précisément sur toi.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ben, d'habitude, les dingues, ils s'attaquent aux stars, pas aux chanteurs plus... enfin, moins... C'est juste que t'es pas super connu, tu vois ?
- Ben, si, quand même un peu
  
Faut-il prendre ces menaces au sérieux ? Dominique A sombre progressivement dans la peur, alors que son entourage et la police ne prennent pas cette histoire trop au sérieux. Pourquoi s'en prendre à lui ? A la rigueur, on pourrait soupçonner ce fan encombrant, parce qu'il en a quand même un, qui cultive le même look que son idole. A moins qu'il ne s'agisse d'un coup de pub,
C'est le point de départ d'un drôle de scénario, dans lequel les chansons de Dominique A apparaissent en filigrane. Par exemple, la scène du bowling fait directement référence à la chanson Le bowling de l'album Tout sera comme avant. Dominique A se pose beaucoup de question sur le sens de cette histoire, lui qui se cherchait déjà Le sens sur son album La musique...

J'ai tout essayé
J'ai pas trouvé le sens
J'ai cherché dans la rue
J'ai écrit "j'ai aimé"

J'ai voyagé, j'ai cru
J'ai nié des évidences
J'ai nagé nu, mais désolé
J'ai pas trouvé le sens


Mais il faut préciser que ces références ne sont pas indispensables à l'intrigue. elles apparaissent plutôt comme des clins d'oeil qui ajoute au plaisir de lecture.
Pourquoi une bande dessinée et pourquoi Dominique A ? Il n'a jamais caché son intérêt pour la bande dessinée, comme dans cet entretien paru lors de la sortie de Dominique A [textes illustrés] paru aux éditions Charrette en 2007 (je vous conseille d'aller voir la présentation du livre sous le lien, chaque texte y est présenté de manière très complète).
Lorsqu'il fut rédacteur en chef invité des Inrocks, il consacra 6 pages à la bande dessinée. La qualité de ses choix et le sérieux de son implication fut remarquable, mais la manière de présenter cette section dans le journal fut maladroite, ce que l'excellent site d'information du9 ne manqua pas de relever.

Notons enfin que l'habillage de son album Vers les Lueurs a été réalisé par l'auteur italienne  Gabriella Giandelli, pour qui il avait signé la préface de son album Intérieur.
Tout cela pour dire qu'il existe une vraie relation entre Dominique A et la bande dessinée. Mais de là à lui consacrer un album, d'autant que son peu de popularité indique clairement que la présence de son nom sur la couverture ne risque pas d'attirer le chaland. A ce propos, il a eu cette jolie phrase lors de sa récompense aux Victoires de la Musique:

"Pendant vingt ans, j'ai pensé que j'étais un looser. On me récompense sur la durée, pour une carrière en marge. Je suis aimé par peu de gens pour le moment, mais ils me donnent beaucoup d'amour"

Le pourquoi du choix de Dominique A est expliqué par le scénariste dans cet entretien. L'idée était de prendre un personnage réel et lui faire vivre une aventure imaginaire, comme une réponse à leur livre précédent.
On venait de finir la BD avec Olivier Balez du Chanteur sans nom et on discutait d'une autre histoire. L'idée était de prendre un petit peu le contre-pied de cette histoire. On avait ramené à la lumière un homme passé complètement dans l'oubli. Et lorsqu'on lit la BD, on se demande si l'histoire est véritablement la réalité, si c'est du lard ou du cochon. Il y a des anecdotes trop incroyables pour être vraies, mais en fait si, tout est vrai. L'idée était donc de prendre une histoire un peu à l'envers et de faire vivre à un personnage réel des aventures totalement fausses. Une sorte de démarche inverse
Puisque nous sommes dans le domaine de la fiction, le héros ne sera pas Dominique Ané (de son vrai nom), l'homme, mais Dominique A, le chanteur tel qu'on peut le percevoir dans ces chansons. En s'imprégnant de sa musique, les auteurs ont reconstitué un personnage et se sont laissés guidés. Elles suscitent des images, initient des scènes et un personnage émerge progressivement: une certaine idée de Dominique A. Toute référence autobiographique a été évacuée. Dans la bande dessinée, il n'a ni femme, ni enfants et habite Paris alors qu'il vit entre Brest, Nantes et Bruxelles. Son manager et ses musiciens dans la bande dessinée sont de pures créations. Physiquement, les auteurs se sont attaché à son allure très sobre, à la limite de l'austérité. "Son petit côté moine-soldat" comme  le souligne Philippe Katerine, également présent dans cet album. A eux deux, ils forment un couple mal assorti, entre l'austère Dominique A et le zébulon extravagant Katerine, qui semble directement échappé du clip de Louxor, J'adoooooorePourtant, ces avatars dessinés ne sont jamais caricaturaux. D'une certaine manière, ils se prêtent étonnamment bien à cette mystification. La frontière entre la réalité et la fiction est trouble. Dans la vraie vie, ils se connaissent, ont collaboré ensemble, sont tous les deux des marginaux dans le monde de la chanson, à ceci près que Katerine a connu un succès inattendu qui l'a propulsé sous les projecteurs, ce qui jette un trouble sur leur amitié. On les imagine mal se lançant dans des parties endiablées de playstation, mais cela ne pose aucun problème à leurs doubles de papier.
En fait, tout le livre semble jouer sur le thème du double.
Le couple Dominique A/Katerine joue sur l'ambiguité des relations à l'autre, en mettant en doute les raisons de l'amitié entre les deux chanteurs. Réelle ou Survivance d'un passé commun ? Sincère ou hypocrite ? Dominique A est aussi confronté à sa condition de personnage médiatique dans le couple qu'il forme avec ce fan qui pousse un peu trop loin le mimétisme avec son idole. Quant à ce mystérieux corbeau, il révèle le côté sombre de Dominique A. La conscience du danger fait tomber certaines réserves.
Tous ces couples laissent Dominique A face à lui-même, à ses doutes et ses regrets, face ses fulgurances d'artiste et sa médiocrité d'être humain... un homme comme les autres, finalement. Unique, comme tout le monde.
Réjouissant par moment, comportant d'excellents scènes, comme le concert avec Katerine, mais manquant un peu de liant, ce livre se lit avec un certain plaisir mais laisse finalement un léger goût de trop peu. Je ne pense pas qu'il faille être un connaisseur de la musique de Dominique A pour l'apprécier, mais l'un des intérêt du livre reste la confrontation de ce personnage pas tout-à-fait fictif avec lui-même. Tout ignorer de Dominique A risque de retirer une part de l'enjeu de l'intrigue, qui n'est pas particulièrement remarquable en elle-même. L'idée de départ est originale mais extrêmement difficile à mener à son terme. La référence qui s'impose est évidemment Being John Malkovich, qui doit sa réussite à la folie absolue du scénario. Cette folie fait défaut à ce livre qui hésite entre trop de pistes. La sauce prend parfois, mais ne tient pas. Il reste de bons moments, quelques rires, même, mais un récit un peu trop léger. Mais je conseille quand même ce livre au titre de curiosité, et parce qu'il reste malgré tout très agréable à lire.
Et si vous ne connaissez pas la musique de Dominique A, foncez.
Son dernier album, Vers les lueurs, est une merveille


Son double-album précédent, La Musique/La Matière, contient quelques perles. Privilégiez la version spéciale sur iTunes (38 titres pour 9,99 euros), pour la magnifique chanson Manset



Et son live  Sur nos forces motrices propose une belle introduction à son oeuvre.



1 commentaire:

  1. je ne suis pas vraiment amateur de Dominique A (à l'occaz, chez Tiersen), cette BD m'a plutôt plû. Ce n'est pas un livre hommage, mais on sent que les auteurs aime leur personnage.
    A lire absolument des m^mes : Top less et Le chanteur sans nom !!

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