jeudi 27 novembre 2014

La bande dessinée a-t-elle peur du vide?


Un des enseignements de la lecture de Understanding Comics de Scott McCloud est certainement le rapport très particulier que la bande dessinée entretient avec le temps. Une case est-elle un instantané d'une action ? Au contraire, condense-t-elle une succession de micro-actions ?
Un exemple décrypté par du9
Dans le premier cas, le temps s'exprime dans le fameux espace inter-iconique (gutter, selon Scott MCCloud) qui sépare 2 cases. Dans l'autre, le lecteur reconstitue la temporalité grâce au sein d'une même case. Les deux procédés coexistent et les auteurs ont à leur disposition plusieurs procédés leur permettant de traduire l'écoulement plus ou moins rapide du temps: la forme des cases, les traits de mouvements, la posture des personnages...
Mais, en  entamant la lecture de Bottomless Belly-Button de Dash Shaw, j'ai été frappé par le fait qu'il est une technique que les auteurs n'utilisent quasi jamais: le vide.
Dans les premières pages, plusieurs pages ne sont constitués que d'une case plantée au milieu de la page.
L'espace inter-iconique, là où le temps se joue, occupe la majorité de la page. Passe-t-on plus rapidement sur cette page, puisqu'il n'y a que peu à lire? Au contraire, le vide tend à retenir le lecteur.
Le temps se dilate.


Le rythme général se ralentit.




Par analogie, ce vide correspond au silence au cinéma. Le silence y est devenu une denrée rare. 
Il faut le remplir. 
Parfois, le combler peut-être génial, comme dans le ballet spatial de 2001. 
Pourtant, quel impact le silence peut avoir. Que ce soit dans l'Ile nue, le cinéma de Kim Ki Duk ou, dans des blockbusters comme Castaway ou Gravity... autant d'exemples où le silence accentue les sensations.
Mais la bande dessinée a visiblement horreur du vide.
Il semble évident qu'une page doit être remplie. La gouttière n'y est qu'une ponctuation. Une contrainte technique...
A croire que laisser du blanc sur une page reviendrait à du gaspillage.
Pourtant, dans l'excellent L'autre fin du monde, Ibn Al Rabin démontre l'usage que l'on peut faire du vide sur une planche de bande dessinée.



Malheureusement, la bande dessinée, essentiellement franco-belge, préfère remplir, parfois jusqu'à l'excès, comme Lidwine dans Le dernier Loup d'Oz. en première lecture, j'avais été bluffé par le luxe de détails. En deuxième lecture, ces détails me sont apparus comme des frioritures inutiles qui alourdissent la narration.


L'équilibre est une chose délicate à atteindre. Yslaire est maître dans ce domaine. Mais j'ai l'impression que l'écriture en bande dessinée ne prend pas en compte cette possibilité. Il semble évident qu'un scénariste n'aura sans doute pas naturellement tendance à utiliser cet artifice parce qu'il repose sur la mise en page qui est plus du domaine du dessinateur. Cela ne fait donc pas partie du langage naturel d'un Neil Gaiman ou d'Un Alan Moore. 
Mais même les auteurs complets, qui contrôlent toute la narration, ne font quasi aucun usage de ce procédé. Pourquoi cette peur du vide?